Thomas Barax – DNSEP Design des communs
Titre du projet : Appareils latents
La photographie est apparue au début du 19ème siècle, trouvant ses origines dans le principe du sténopé déjà développé dans l’antiquité. Pourtant, on aurait trop vite fait de penser que les deux siècles d’évolution des procédés et des appareils photographiques qui ont suivi l’apparition de ce nouveau médium n’ont pour seul but que d’aboutir aux dispositifs que nous usons aujourd’hui.
Il existe une multitude d’appareils photographiques pré-numériques intéressants considérés aujourd’hui comme obsolètes car les consommables ne sont plus produits industriellement. Pourtant, en détournant certains matériaux toujours en circulation ainsi qu’en adaptant le boîtier, il est possible de réveiller ces objets techniques latents, permettant alors de revisiter certaines formes de représentations et révéler de nouvelles possibilités. Ces pistes de réflexions ont découlé de recherches sur les outils et les conditions de travail des opérateurs itinérants du 19ème siècle, qui concevaient leurs propres outils photographiques selon des conditions économiques et géographiques contraignantes, déjouant ainsi la domination du marché par les industriels du secteur qui tirent leurs profits de la dépendance des amateurs à leurs consommables.
L’acte photographique nous paraît aujourd’hui bien anodin, mais sous couvert d’en faciliter la pratique, nos dispositifs actuels influencent notre usage, standardisant le format, dissimulant les réglages et créant des stéréotypes de beauté de l’image.
Dans ce travail, amorce d’un projet qui est à étaler dans le temps, je réveille des dispositifs photographiques « obsolètes » dans un contexte d’itinérance. Travaillant autour du temps photographique, je capte chaque instant de prise de vue par des médiums annexes (vidéos, notes, sons) pour témoigner des échanges et des rencontres autour de ce processus.
Le positif obtenu reflète cette expérience photographique, au-delà de l’image, c’est le lien entre la technique, l’appareil, les individus et l’espace qui se cristallise.
Questionner la façon d’appréhender des techniques différemment de la manière dont nous avons été conditionnés à l’utiliser permet de prendre du recul sur notre rapport à ceux-ci. Encourager la diversité des techniques en explorant ce qui s’est fait en dehors de notre histoire occidentale peut ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur les enjeux écologiques et sociétaux d’aujourd’hui. Cela pourrait également changer notre rapport au progrès, qui est aujourd’hui trop axé sur l’innovation et le solutionnisme technologique, alors que la réponse se trouve peut-être déjà dans la redécouverte de savoirs passés, dans la promotion de la pluralité culturelle des techniques, des cosmo-techniques ainsi que dans l’entretien et le maintien de ce que nous possédons déjà.
Instagram : @barax_th
Hugo Bosque – DNSEP Design des communs
Titre du projet : Requalifier la matière par l’expérience sensible
“Depuis toujours, je n’ai eu cesse de manipuler les objets qui nous entourent, de chercher à entrer en contact avec eux, à percer l’être des choses, leur « choséité », c’est-à-dire l’essence des objets, par delà une approche fonctionnelle. J’ai entretenu un rapport exploratoire à la matière, celle qui nous bouleverse, éveille nos sens et régit nos comportements vis-à-vis de l’objet. Je cherche, dans mon travail, à examiner et requalifier le registre de nos perceptions sensibles et témoigner des effets d’une telle approche en ce qui concerne nos rapports aux environnements. En proposant un nouveau regard porté sur les objets, considérant principalement les qualités de la matière, je tends à préciser la nature et le rôle de nos relations sensibles aux objets afin de révéler la portée significative et créative qui en résulte.
Quelles sont les typologies d’interactions, c’est-à-dire d’actions réciproques, qui se jouent au contact des objets ? Que traduisent-elles? Comment en rendre compte et les prendre en considération ? Le designer pourrait-il s’en saisir pour développer une recherche-création plus attentive aux sens et au caractère inédit de chacune de ces interactions ? C’est l’hypothèse portée dans mon travail, mise à l’épreuve de l’expérimentation et du travail d’enquête.
Afin d’étudier les interactions vis-à-vis de l’objet, j’ai non seulement cherché à court-circuiter le rapport utilitaire que nous pouvons avoir avec lui, mais aussi à infléchir la définition même que l’on en donne, faisant habituellement prévaloir sa détermination par la fonction, présupposant un sujet. Ainsi, à la manière de Heidegger qui préfère utiliser chose (Ding) plutôt qu’objet (Objekt), je plaide pour l’idée d’une indépendance de l’objet par rapport à tout sujet. Ainsi, si pour Heidegger, la chose est un objet sans rapport avec son sujet, qui existe en elle-même et est considérée en dehors de sa valeur d’usage ou de son utilité, je fais le choix, dans la continuité des travaux de Serge Tisseron, de qualifier l’objet de sujet. Par ce choix, j’opère un renversement qui, davantage encore que de penser l’objet par lui-même ( « choséité » chez Heidegger), s’intéresse à l’investissement psychique que celui-ci suscite en tant que sujet.
D’autre part, en s’emparant du caractère instable et indéterminé de la matière, s’offre à nous le terrain de l’expérience. Que se passerait-il, alors, si l’on requalifiait la valeur des objets usuels non plus à partir de leur fonctionnalité en vue de son optimisation, mais à l’aune de la qualité et de la pluralité des interactions ?”
Site web: https://hugobosque.com/
Instagram : @hbosque_works
Justine Coirier – DNSEP Design des media
Titre du projet : Métaphore du regard
“ Dans une société où notre rapport à l’image devient de plus en plus liberticide, comment puis-je, en tant que graphiste, artiste, illustratrice, penser à une manière raisonnable d’appréhender les images ? Aujourd’hui, avec le Web, nous sommes confrontés à des problèmes nouveaux tels que la baisse de notre capacité d’attention, les addictions aux écrans, qui peuvent conduire à la perte de notre sensibilité. Sur le Web, toutes les images sont au même rang, parce qu’elles sont sur le même support. En tant que designers, nous devons être attentifs à notre public, à ses besoins et à ses capacités, nous devons prendre en compte son mode de vie afin d’offrir une image significative. J’ai choisi de faire un saut dans le passé pour reconsidérer le statut du spectateur, en me débarrassant des aspects de surproduction et de surconsommation d’images dans notre siècle mondialisé.
La période qui m’a semblé le plus correspondre à mes intentions est le Moyen Âge, puisqu’elle se situe juste avant l’invention de la machine à imprimer par Gutenberg. À cette époque, la majorité ne savait pas lire, faisant de l’image un moyen de communication privilégié. Les dessins médiévaux étaient de véritables récits, racontant une histoire par le biais de l’image.
La conception particulière des personnages et les perspectives médiévales sont délibérées, les dessins sont simples pour signifier le « supra-sensible », pour signifier le divin. J’ai étudié les trois grands médias du Moyen Âge, le vitrail, la miniature et la tapisserie, afin de déterminer leurs caractéristiques, leur but et la manière dont ils étaient perçus par les gens. J’essaie de les reconstituer à travers le spectre de la machinerie optique, comme métaphore de l’attention. En effet, la loupe met l’accent sur un détail, obligeant à regarder plutôt qu’à voir. Le regardeur devient ainsi l’acteur de son regard. La dualité entre être acteur et être spectateur est l’aspect majeur que je souhaite aborder. Ainsi, la période médiévale, avec sa façon de raconter des histoires sans paroles, réussit à attirer l’attention de son public.
En deux mots, je souhaite amener le spectateur à prendre une part active dans l’image, à en faire l’expérience.”
Instagram : @jujudejojoba
Jérémy Da Silva Glomeau – DNSEP Design des communs
Titre du projet : Déliaisons
« Nous avons perdu notre statut de proie, comme le rappelle l’anthropologue Val Plumwood dans son écrit Dans l’œil du crocodile — L’humanité comme proie. Ce phénomène, plutôt récent, nous place dans une position dominante face au vivant et nous fait oublier que nous restons vulnérables, pris dans des interdépendances et dans des rapports entre chasseurs et chassés qui constituent notre condition commune de terrestres.
C’est à partir de ce renversement que je choisis de m’intéresser à ce qui reste de la relation. Quand s’estompe le sentiment de vulnérabilité, quelle est la nature des relations qui s’installent, et quelles en sont les traces visibles au sein de nos représentations ?
Cette position dominante de l’Homme sur l’animal trouve une grande diversité d’expressions et traductions, de la domestication à l’exploitation, et s’incarne de multiples manières dans l’Histoire. En s’attachant à rendre compte, avec nuances, de ces formes de dominations complexes et parfois ambivalentes, une première partie de mon projet s’intéresse à la violence, en tant que motif récurrent, mais surtout en tant qu’expression d’une déliaison, c’est-à-dire d’une rupture rendant possible, au prisme de l’Histoire de nos sociétés, l’utilisation de force ou de pouvoir, physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager.
Cette situation de domination de l’Homme sur l’animal, devenu paradigme dominant de nos sociétés, notamment occidentales, fait l’objet de débats de plus en plus vifs, attisés par des positions critiques de plus en plus radicales quant au rapport au vivant qu’il s’agirait de revisiter face aux défis de l’anthropocène.
Une deuxième partie de mon travail s’intéresse, à ce titre, à la diversité des représentations de l’animal, qui traduisent d’autres formes de relation, déjà installées ou vécues, ou que certain.es appellent de leurs vœux.
Enfin, une troisième partie cherche à montrer comment l’art permet de renouer du lien, une compréhension et une reconsidération de ces êtres. Notre manque de lien et de sensibilité engendre de la violence, de la défense et impose une forme de supériorité face à une chose que l’on ne contrôle et ne connaît pas. Dans les pas des amateurs et professionnels au premier rang du spectacle de l’appauvrissement des écosystèmes, je plaide pour que le « geste naturaliste, ne se résumant pas à la seule contemplation ou à l’inventaire du désastre », devienne un « outil dont chacun·e doit s’emparer dans une perspective de lutte ». »
Instagram : @jdsg_art
Quentin Demaria – DNSEP Design des média avec mention
Titre du projet : Univers virtuels. Une exploration des territoires atopiques
“ Mes travaux se proposent d’observer l’influence des univers virtuels sur notre rapport au temps et à l’espace, ou comment ces derniers modifient notre perception spatio-temporelle. Il s’est tout d’abord agi pour moi d’utiliser les univers virtuels comme des lieux de mémoire dans lesquels il est possible de se déplacer à la recherche de sensations et de souvenirs oubliés. C’est à partir de mes expérimentations menées autour des questions de passages entre espaces réels et virtuels notamment au sein des jeux vidéo et plus particulièrement des Walking Simulator, que j’en suis venu aujourd’hui à considérer les espaces virtuels comme des espaces performatifs et sensibles.
Ma recherche s’est tout d’abord concentrée sur la question de la représentation de l’espace jusqu’au développement des univers virtuels numériques pour aborder ensuite la notion d’espace sensible. Par espace sensible, j’entends aussi bien les espaces de la mémoire personnelle que ceux de la mémoire des lieux, à la recherche d’un lien émotionnel avec notre environnement. Finalement, mon projet m’a permis d’explorer la possibilité de faire se rencontrer des lieux de natures différentes (réels et virtuels, présents et passés) faisant cohabiter la mémoire et les souvenirs avec des imaginaires narratifs où il est possible de se déplacer sur un mode poétique et sensible.”
Instagram : @quentin_demaria
Maguelone Faivre d’Arcier – DNSEP Design des média avec les félicitations du jury
Titre du projet : HYPER
“ J’ai toujours été attirée par les notions de saturation, de surabondance, ce sont des mots que j’ai toujours appliqués à ma façon de travailler ou de penser. Plus encore, ils sont vraiment liés à ce que je produis, à ce que j’écoute et aux esthétiques qui me plaisent. La saturation est par la suite un mot que je suis venue poser sur un état psychologique immuable depuis quelques années : la saturation numérique. Elle exprime une surcharge attentionnelle non-verbale, numérique et déshumanisée de notre réalité. La crise du Covid en 2020 a bouleversé le lien que nous avions avec le virtuel en général, il est devenu notre lieu de tout. Chaque partie de notre vie a été transposée numériquement, ne nous laissant aucun temps de pause, et peu de temps de « vraie réalité ». Quelque chose a changé, et j’ai maintenant la sensation d’avoir un ordinateur dans la tête, que ma liste de tâches quotidienne est devenue un algorithme complexe et expansif, dont je dénoue encore difficilement le code. C’est le point de départ de ma recherche, cette surcharge omniprésente qui remet en cause la réalité et qui crée un sentiment d’hyperréalité, que nous pouvons ressentir au sein de nos outils numériques. Nous vivons dans un monde de l’hyper, hypertextualité, hyperprésence, hyperattention, hypersociabilité, hyperconsommation, aussi caractérisé par l’accélération des techniques et par la présence ubiquitaire de nos outils numériques dans notre quotidien, qui d’une certaine façon augmente toutes les parties de notre existence. La relation que nous entretenons avec les outils numériques est devenue de plus en plus étroite, nous en sommes dépendant car ils sont fidèles, omniprésents et nous permettent de voyager dans des espaces infinis et de nous relier au monde entier. L’accélération des progressions techniques a créé la nécessité de posséder et de comprendre les outils numériques. Or, en évoluant avec eux, nous sommes piégés et soumis à ces designs qui nous sur-sollicitent, qui nous agrippent et nous empêchent de les quitter, jusqu’à perdre la notion de réalité. Cette société connectée en permanence, dominée par l’omniprésence du virtuel et des outils numériques est-elle en perte de prise avec le réel ? Dans quelle mesure la relation que nous entretenons avec les outils numériques (et médias sociaux) est-elle hyperréelle ? ”
Noa Gautheron – DNSEP Design des média
Titre du projet : Carnet de Bord : Live coding et performance, pistes pour un « algothéâtre »
“ Au cours de mes études, j’ai souhaité mettre en avant des expérimentations sur le thème de la trace et du son. Je me suis notamment interrogée sur l’impact que peut avoir le son sur le visuel et sur leurs interactions réciproques. Ce thème est au cœur de mes recherches et de mon travail.
Il y a un an, pour une édition je me suis intéressée au son des synthétiseurs, j’ai expérimenté des logiciels de son comme Reaper, Audacity, puis j’ai commencé à m’intéresser à PureData (création musicale et multimédia en temps réel). Sur les conseils d’un de mes professeurs, je me suis intéressée à des logiciels comme Sonic Pi, Tidal et SuperCollider. J’ai vite compris qu’il s’agissait de logiciels de Live Coding, j’étais assez réticente à les utiliser, car je ne suis pas une très bonne codeuse, mais ma curiosité m’a fait découvrir le Live Coding.
Le codage en direct est une performance où la musique et les images sont programmées par un codeur en direct devant un public. Il s’agit le plus souvent d’une expérience audiovisuelle, qui met l’accent sur l’immersion visuelle. La performance peut être accompagnée d’une projection du code vers le public. Il existe deux types de codeurs en live : ceux qui se concentrent sur le son et ceux qui se concentrent sur les visuels (création de formes, d’animations, etc.). Je me suis vraiment concentrée sur le son, parce que c’est ce qui m’intéressait le plus.
Je ne suis pas musicienne et je voulais faire de la « musique ». Sonic Pi possède un langage qui est assez accessible pour les non-initiés, on peut s’amuser très rapidement. Je commence donc à découvrir de plus en plus ce programme afin de pouvoir proposer une nouvelle piste de performance pour le Live Coding. ”
Instagram : @noagth
Théo Jacquet – Double diplôme DNSEP Design des communs + Diplôme d’état d’architecte (avec les félicitations du jury) avec l’ENSA PVS
Titre du projet : Des marches en quête sur le canal d’Orléans
La marche comme outil critique pour réhabiter le monde
“ Nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène, un néologisme hérité du grec ancien anthropos signifiant “être humain” et kainos signifiant “nouveau”, définissant une nouvelle ère géologique qui érige l’humain comme principale force modificatrice géophysique de la planète Terre. Car même si l’humain n’a jamais été le seul vivant à façonner son territoire, le terme Anthropocène nous met face à la portée et à l’ampleur de notre impact sur la vie de nombreuses autres espèces y compris la nôtre. Nous habitons un monde peuplé d’autres vivants qu’il faut réapprendre à considérer dans une relation inter-espèces.
Face à cette perte de repères si monstrueuse qu’elle échappe à nos représentations j’ai voulu comprendre sur quel territoire j’évolue, « où atterrir » comme le suggère Bruno Latour.
Alors, je fais quelques pas, 651 pour être précis, je traverse le centre-ville d’Orléans que j’habite depuis 7 ans, en me dirigeant vers la Loire et j’arrive là ou commence autant que se termine le canal d’Orléans. C’est ici que débute mon enquête. Face à moi, cette ancienne voie de transport de marchandises qui traverse le département du Loiret sur 78 kilomètres, aujourd’hui obsolète, qui est au cœur d’un projet de réhabilitation pour sa réouverture à la navigation de plaisance ainsi que pour l’aménagement d’une véloroute.
Pour comprendre ce qui se joue sur le territoire du canal d’Orléans, j’en suis devenu habitant. Mais comment habiter un territoire de 80 kilomètres de long ? J’ai décidé d’utiliser la marche comme outil et poser ma tente chaque nuit, jusqu’à atteindre le bout du chemin. Bivouaquer, pour essayer d’être un être presque invisible qui ne laisse que peu de traces. M’immiscer dans ces interrelations de la manière la plus attentionnée possible pour entendre le canal et ses vivants. Tout au long de cette traversée je suis allé à la rencontre des habitants, humains et non-humains, en quête de témoignages, de pistes, de fragments de la réalité d’un territoire. Ce protocole m’a permis de questionner cet artefact, perçu comme relevant de la « nature » par la plupart de ses habitants humains, comme si celle-ci avait digéré l’infrastructure pour l’intégrer, la métaboliser dans son système complexe d’interrelations pour en faire un hybride entre nature et culture. J’ai donc mis en perspective cette parole du canal en regard de la notion de féralité, un milieu qui aurait échappé à sa domestication pour retourner à un état « sauvage », que produit l’Anthropocène. Alors, comment la féralité du canal d’Orléans a modifié nos manières de l’habiter ? Et comment cette féralité est à l’épreuve de l’Anthropocène ?
Mon travail raconte la rencontre avec un habitant humain, une prolifération de jussie, un plastigloméré, un bassin-versant,… Il s’attache à comprendre comment ménager plutôt qu’aménager au regard d’un monde abîmé, pour maintenir des conditions d’habitabilité viable, pas seulement pour les humains mais pour l’ensemble des vivants. Comment développer des pratiques situées qui questionnent notre rapport au monde et nos interrelations ? Tenter de comprendre où j’habite tout en questionnant mon rapport aux choses de la nature, aux vivants, au minéral, au cosmos aussi bien dans une histoire et des pratiques qui nous lient tout autant qu’elles nous séparent. Que seraient alors les outils qui permettraient à l’architecte et au designer de rendre compte de l’état du monde qu’ils traversent ?”
Yoan Lapègue – DNSEP Design des média avec mention
Titre du projet : Faire monde en basse définition
“ Mon projet de DNSEP a été l’occasion d’explorer l’imaginaire, ses origines dans l’enfance, et sa transition vers le monde des adultes. J’ai notamment mis l’accent sur la nécessité vitale de l’imaginaire et ses diverses formes d’expression puis sur le rôle de l’artiste dans la réactivation et la redéfinition de ces imaginaires en leur donnant de nouvelles formes et des modes de perdurance dans des contextes où ils ne semblent plus avoir leur place. Enfin j’ai pu m’intéresser au rôle de la technologie dans la matérialisation des imaginaires contemporains.
Mon objectif était de comprendre comment distinguer la fiction du réel au sein de l’image, en explorant la manière dont notre histoire se superpose à l’image. J’ai cherché à analyser comment les créateurs inscrivent leur propre histoire dans l’image, créant ainsi des récits multiples. Si la fiction et le mythe invitent à imaginer le monde à travers des relations avec le réel alors j’ai proposé une démarche basée sur la notion de mythologie personnelle, cherchant à élargir mon propre monde intime à la sphère collective. En partageant mes récits intimes mais en les communiquant par des réseaux de symboles communs je pouvais donc laisser la liberté au regardeur de s’approprier ces récits et de tisser son propre monde à partir du mien. En acceptant cette coexistence des mondes possibles j’ai donc mis au point un langage visuel qui explorait la basse définition comme matériau commun aux imaginaires de ma génération.
Mon travail propose ainsi un regard sur la construction et la persistance de nos imaginaires à travers l’enfance, l’art et la technologie, tout en invitant à réfléchir sur la façon dont nous percevons le monde à travers les images et les récits qui nous entourent. ”
Site web : yoanlapegue.site
Instagram : @yoanwld
Sélia Latieule – DNSEP Design des média avec les félicitations du jury
Titre du projet : Couleurs Vivantes – un almanach du dhuy à Orléans, des îles qui se sont formées autour et des bords de Loire environnants
“ Comme beaucoup d’autres artistes, je ne peux ignorer les conséquences de ce qui ne peut plus être décrit comme une simple « crise climatique ». Elle m’a amené à questionner ma pratique, sa portée politique et ses médiums.
Fortement imprégné.e par de nombreuses lectures et rencontres, mes recherches et pratiques se sont aussi bien nourries du travail performatif d’Aniara Rodado, réactivant les savoirs “sorcierx” effacés par la culture occidentale et patriarcale, mais aussi des nombreuxes transhackféministes, militantxs radicalxs rencontréxs à Calafou et à travers les événements du réseau Interhack. L’œuvre de la philosophe américaine Donna Haraway les a influencés autant que moi, en brisant le carcan des binarismes académiques humain-animal, homme-femme, nature-culture, etc, mais aussi en rejetant la recherche d’un idéal de pureté pour embrasser la contamination, favoriser la porosité des savoirs, promouvoir l’hybridation, devenir cyborg. J’en ai trouvé un écho dans le mouvement de « l’écologie déviante », un écoféminisme queer, antifasciste et anti-essentialiste décrit et théorisé par Cy Lecerf Maulpoix. En tant que personne non-binaire, je m’identifie comme faisant partie de ces écologies déviantes et du TransHackFeminism.
Tous ces engagements ont ouvert ma pratique à une dimension techno-critique, en valorisant des procédés plus low-tech et écologiques, sans tomber dans une nostalgie doucereuse et une vision romantique du geste. Cela a aussi élargi mon regard sur les êtres vivants, les autres qu’humains et m’a amené·e à développer une relation avec un territoire : le « duit ». Il s’agit d’une digue séculaire en ruine, qui a donné son nom aux bandes de terre et de sable qui s’y sont accumulées, maintenues par les racines des arbres, des roseaux et des herbes. Avec un peu de chance, la marche et l’errance dans ce lieu m’ont guidée vers une collaboration avec les plantes et leurs couleurs. Le fait d’être une cueilleuse de couleurs sauvages m’a amenée à suivre le cycle des saisons, à fabriquer mes propres médiums et plus généralement à ralentir ma pratique. Je travaille avec des couleurs vivantes parce qu’elles sont en constante évolution et parce qu’elles abritent tant de vie bactériologique, dans les bocaux de mon atelier.
Personnellement, cela m’a permis de réexplorer d’anciennes pratiques, de me les approprier, de les remettre en question et de les faire nôtres. En effet, cet apprentissage m’a permis d’intégrer une communauté de cueilleuses, de coloristes, d’artistes, de sérigraphes…
Collectivement, nous portons des discours multiples, polyphoniques et polychromatiques, nourris des valeurs et des récits de chacun, qui laissent apparaître une éthique commune de la couleur végétale, de la cueillette à la fabrication, ainsi qu’une certaine politique d’attention aux relations interpersonnelles et interspécifiques, un soin radical. ”
Instagram : @seliarrrrr
Shuai Liu – DNSEP Design des média
Titre du projet : Courrier extranational – La réflexion sur la survie numérique dans le contexte du “réalisme magique” chinois
Trouver la libération dans les jeux vidéo sous la société algorithmique
“ Mon projet de DNSEP critique l’accélération et l’involution sociale par le capitalisme contemporain, le post-capitalisme et le capitalisme numérique à travers des méthodes macro, micro ou d’appariement, et fait une démonstration progressive dans le sens de la pensée philosophique au moyen de la cartographie.
Je m’intéresse au jeu vidéo. Le réalisme magique correspond bien aux jeux vidéo. Jusqu’à présent, de nombreux chercheurs en philosophie du jeu ont discuté de la question du réalisme magique dans les jeux et du réalisme magique du jeu. Le réalisme magique est un genre littéraire qui n’a pas été clairement défini jusqu’à maintenant, mais, en combinant la réalité avec le magique, ses vues peuvent devenir universelles, précises et peuvent exprimer la réalité et ses problèmes. Des jeux, pas seulement des jeux vidéo. Les jeux sont étroitement liés au monde réel, et ils deviennent de plus en plus intenses avec les jeux vidéo.
En Chine et en Asie de l’Est (Japon, Corée du Sud), des problèmes apparaissent avec l’Internet. En premier lieu, la notion de “déchet social” de la société algorithmique. L’Internet n’est plus seulement un flux mais plutôt un raz-de-marée médiatique. À l’école maternelle, les enseignants chinois ont toujours utilisé ce genre de phrase comme “C’est une épée à double tranchant”. Aujourd’hui, il s’agit de savoir comment nous pouvons retrouver une sensation de bien-être, malgré ce raz-de-marée médiatique.
Dans mon projet je propose de découvrir le romantisme, le surréalisme et le réalisme magique en général, avant de développer une méthodologie du jeu et de la spéculation dans la philosophie du jeu. Mon intention est de jouer avec des métaphores de la politique chinoise grâce à une production plastique autour d’un jeu vidéo expérimental et parodique. ”
Site web : https://miro.com/
Etienne Mosnier – DNSEP Design des communs avec mention
Reprise de savoirs à l’ère post-industrielle
“Le patrimoine est un ensemble existant, souvent en grande partie ou en totalité hérité du passé, constitué de biens matériels et/ou immatériels, propriété privée ou bien commun, que l’on peut vouloir conserver, valoriser ou maintenir pour les générations futures. Il est le reflet de la façon dont une société donnée se représente son propre passé et son avenir, à travers ce qu’elle estime vouloir transmettre. Ce qui qualifie ce patrimoine et en détermine la valeur, tout autant que les modalités et les moyens de sa transmission, relève souvent de considérations politiques, économiques et sociales.
À partir d’une enquête de terrain portée sur la transmission du patrimoine industriel et culturel d’une commune française, Épernon, ce travail de recherche-création en Art et Design s’intéresse précisément aux critères, aux modalités et aux formes de cette transmission. Proposant une critique des phénomènes de patrimonialisation et de muséification, qui tendraient à figer une mémoire fragmentée et incomplète de nos héritages et de notre Histoire, ce travail cherche à rendre compte d’approches alternatives aux postures de transmission tournées vers la conservation.
En effet, selon nous, les approches tournées vers la conservation ou la réhabilitation « d’objets de patrimoine » négligent trop souvent les dimensions culturelles, expérientielles et les savoirs pratiques qui entourent ces objets. Ainsi cette transmission s’avère partielle, et limite sa réappropriation par les générations futures. De quelle manière réactiver ce qui fait patrimoine aujourd’hui, dans toutes ses dimensions et en tant qu’héritage vivant ? Comment proposer davantage de prises à sa réappropriation ?
Dans ce contexte, la démarche de recherche en design que je développe dans mon projet tente d’ouvrir une réflexion et propose des chantiers dédiés à la reprise des savoirs à l’ère post-industrielle. Par l’idée de « reprise de savoirs », il s’agit d’abord de prendre en considération de tels héritages comme support de nouvelles pratiques et cultures techniques. Mon projet s’attache donc à rendre compte et formaliser ce qui fait patrimoine, à travers un travail d’enquête et d’analyse, mais également de documentation et d’archivage prenant la forme d’une boîte à outils en ligne. En dialogue avec les institutions et organisations existantes, il s’agit de participer à la ré-invention de cadres de transmission reliés aux formes d’éducation et d’écologies populaires en prise avec les territoires. D’autre part, mon travail cherche à réaffirmer, par le design et dans la continuité des travaux de Marx ou de Stiegler, la perspective et l’enjeu d’une déprolétarisation généralisée de la société au sein de laquelle les habitants (producteurs, consommateurs, concepteurs) seraient à même de penser et de prendre part activement aux transformations de leur territoire de vie.”
Site web : https://etienne-mosnier
Instagram: @etienne_mosnier
Lou-Ann Pigearias – DNSEP Design des média avec les félicitations du jury
Titre du projet : NO PICTURE ON SET
“ Le sujet de mon projet porte sur un lieu, le Studio Rouchon, un studio de photographie, et son influence dans l’industrie de la Mode aujourd’hui. J’ai rejoint ce studio en tant qu’assistante de studio en juillet 2021. Le projet porte sur mon positionnement en tant qu’assistante et la distance que j’ai prise par rapport à celui-ci, pour étudier ce lieu spécifique, qui reflète le pouvoir des images et du branding aujourd’hui.
J’ai étudié ces aspects de mon expérience personnelle parce qu’ils constituent un témoignage authentique et personnel des coulisses de l’industrie de la mode, ce qui est assez rare aujourd’hui. À l’époque, lorsque j’étais adolescente, j’aurais aimé découvrir tous les secrets de l’industrie et apprendre à devenir photographe de mode. Aujourd’hui, je fais cette enquête pour déconstruire la production de photographies de mode et révéler toutes les clés derrière une photographie. Telle une dormeuse, j’ai pris des notes, des photos, j’ai interviewé les responsables du studio… J’ai rassemblé toutes les informations possibles pour construire une vision utile du fonctionnement d’un studio aujourd’hui.
Comme vous pouvez le deviner, une photo de mode se compose de : modèles, maquillage, vêtements, décors, montage… Lorsque j’ai découvert toutes les coulisses d’un shooting photo de mode, j’ai été impressionnée par la quantité de choses nécessaires pour réaliser une seule photo, une seule photo peut prendre une demi-journée ! Lors d’une séance photo de mode, on peut trouver plus de 50 personnes sur un plateau, tout le monde courant partout, à la recherche d’un café au lait pour le « talent » ou se préparant avec des bébés dalmatiens, photographiés pour la campagne de Cruella. Par-dessus tout, ces journées de photoshoot sont synonymes de pression et de fatigue. Nos journées, en tant qu’assistant de studio, peuvent durer 15 heures. Nous nous réveillons à 4h30 du matin pour commencer à photographier à 6h. Cependant, j’ai aussi trouvé beaucoup de joie et de bonheur dans ce travail parce que je pouvais voir tous mes photographes idéaux travailler devant moi. J’ai découvert toutes les petites astuces qui permettent de réaliser une séance photo de qualité avec une équipe formidable ; quelque chose que j’ai toujours attendu avec impatience.
En conclusion, la vision de ce travail que j’ai aujourd’hui est complètement différente de celle que j’avais quand j’étais plus jeune. J’ai compris tous les enjeux de ce métier, comment se compose une photo de mode, comment elle est entièrement créée, et aussi sa puissance. Aujourd’hui, je suis capable d’utiliser toutes ces astuces que j’ai apprises et de prendre de la distance avec cette industrie luxueuse dont je rêvais.”
Instagram : @louannpi
Lucas Pipard – DNSEP Design des média avec les félicitations du jury
World Wide Wave
“J’ai choisi de travailler sur un internet alternatif car je suis très intéressé par les nouvelles technologies et les nouveaux services de communication. Je pense que la plupart des gens ne sont pas suffisamment conscients de la façon dont les grandes entreprises qui se cachent derrière leurs services quotidiens utilisent leurs données pour prédire leur comportement, et détruisent notre écosystème pour créer des appareils de plus en plus puissants et gourmands en énergie. Cette centralisation des données et des connaissances liées à ces services, comme l’Internet, a profondément influencé notre utilisation et nos compétences en matière de technologie au cours des 20 dernières années. Cette dépendance est créée par la perte progressive des connaissances technologiques, pour une expérience plus fluide mais qui induit un manque d’autonomie et de compréhension sur la destination de nos données et l’usage qu’en font les entreprises. Mais tout cela n’est qu’un petit effet secondaire par rapport au vrai problème qui est la destruction de notre écosystème.
Pour maintenir ces services constamment opérationnels et les rendre plus rapides, afin de les intégrer de plus en plus dans notre quotidien, une industrie massive a été créée autour de l’Internet et de l’interaction technologique incessante entre les humains. Les grandes entreprises technologiques choisissent des mots comme « nuage » et « flux de données » qui renvoient à un lexique léger, mais l’industrie de l’Internet est une industrie lourde. Cependant, dans un avenir proche, avec des ressources énergétiques et matérielles limitées, cette économie peut-elle encore perdurer ? Va-t-on se renflouer pour que l’internet tel que nous le connaissons fonctionne à plein régime comme aujourd’hui ? Entre Hacktivisme et Ingénierie Critique, j’essaie de comprendre comment ces alternatives s’accordent avec notre utilisation actuelle des communications et de produire des expériences pour envoyer des données et des informations sans l’internet.
En résumé, mes recherches sont une tentative d’adaptation/création d’un Internet indépendant et résilient par le piratage de nos connaissances techniques et l’appropriation illicite de nos appareils. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler avec la radio, qui est un moyen de communication très résistant, qui utilise moins d’énergie et de ressources qu’Internet. J’ai donc décidé d’hybrider des radios avec de vieux smartphones à qui j’offre une seconde vie, pour créer un appareil de “transmission multi-outils » qui peut à la fois transmettre de la voix, du texte et des images sans avoir besoin d’Internet ou de services mobiles. ”
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