Dans le cadre du programme Erasmus+, Martin Régnier, étudiant en DNSEP Design des Média, est parti en mobilité étudiante à la LUCA School of Arts de Gand (Belgique) pendant un an. Revenu en France en juin 2022, il nous raconte son expérience.
Bonjour Martin, Peux-tu nous raconter quelles ont été tes motivations pour partir en mobilité ?
À l’origine, je souhaitais poursuivre mon cursus dans une école de beaux-arts française. Après avoir passé quatre ans à Orléans, j’avais un désir d’être dépaysé. D’une part, en habitant une ville dont l’écosystème artistique est complètement différent. D’autre part, en découvrant comment fonctionne une autre école d’art. Estimant que la quatrième année est un bon moment pour voyager, j’ai commencé à me renseigner sur les écoles à l’étranger. Le paysage européen des écoles d’arts étant vaste, je ne savais pas où me donner de la tête pour mes candidatures. C’est l’un de mes enseignants qui avait créé le partenariat entre la LUCA School of Arts et l’ÉSAD Orléans et m’a conseillé de tenter. Avant de postuler à cet Erasmus, je ne connaissais que très peu les écoles d’art belges, et plus largement la Belgique : je ne faisais même pas la distinction entre la Wallonie et la Flandre ! Ce n’est qu’une fois sur place que je me suis rendu compte de la complexité politique du pays. Concernant l’apprentissage de la langue, je souhaitais développer mes compétences en anglais avant d’apprendre une langue autochtone. Il était donc important pour moi de partir dans un pays où les habitants sont anglophones. Or, les néerlandais parlent couramment l’anglais.
Comment as-tu préparé ton séjour ?
J’ai pris rendez-vous avec la responsable des relations internationales de mon école pour discuter des possibilités de mobilités sortantes. Après avoir défini mon choix, j’ai candidaté auprès de la LUCA en transmettant un portfolio, un CV et une lettre de motivation en anglais. J’ai pu me faire relire par la professeur de langue de l’ÉSAD pour les traductions. Après avoir appris que j’étais accepté, j’ai confirmé mon inscription sans trop savoir dans quelle aventure j’allais me lancer. J’ai donc rempli mon contrat d’apprentissage en ligne, qui comprend les choix des cours que je souhaite suivre dans mon université d’accueil. Ce document a été affiné à la rentrée avec l’aide de la responsable Erasmus+. J’ai pu bénéficier des bourses Erasmus+, Mobicentre, du CROUS et de l’Aide à la mobilité internationale. Ces aides financières étant très facilitantes, j’ai pu voyager et dépenser mon argent dans les friteries et les bars sans compter.
Comment s’est déroulée ton arrivée à Gand ?
Je suis arrivé à Gand en septembre. La signalétique en néerlandais est un peu déstabilisante, donc le GPS s’est révélé salvateur. J’ai été impressionné par la quantité de vélos, qui ont la priorité sur les piétons ; il y en a tellement qu’ils sont en libre-service dans la ville. C’est-à-dire que la police elle-même n’a pas le temps de s’occuper des vols, et incite les gens à trouver un nouveau vélo dans la rue si on perd le sien. Le centre-ville est difficilement accessible en véhicule motorisé, puisqu’il y a un dispositif de “Zone à basse émission”. Le covid se faisait encore ressentir l’année où je suis arrivé. Beaucoup de Gantois portaient encore des masques. L’école, à l’architecture digne de Poudlard, m’a beaucoup marqué, de par l’étendue de ses locaux et la taille de ses ateliers. La semaine d’introduction, qui m’a permis de rencontrer tous mes amis au sein des étudiants Erasmus, était très dense. Elle comprenait notamment des visites guidées du centre historique et des principaux musées, mais aussi une balade en péniche sur les canaux du cœur de ville.
Comment as-tu trouvé ton logement ?
J’ai eu quelques difficultés à trouver mon logement. À Gand (74 000 étudiants pour 260 000 habitants), l’offre de logements est importante. Cependant, la demande l’est encore plus. Les locations sont tellement prises d’assaut que de nombreux bâtiments sont aménagés en chambres étudiantes, les kot (piaule en néerlandais). Ces logements comprennent des sanitaires et une cuisine qui peuvent être individuels ou collectifs, en fonction de l’agencement des kots. Il est donc conseillé de commencer ses recherches 6 mois à l’avance. Ayant commencé mes recherches 3 mois avant la rentrée, j’ai pu obtenir quelques rendez-vous avec des agences immobilières, des propriétaires et des habitants en colocation, qui choisissent par eux-mêmes leurs futurs colocataires. Pour ces derniers, tout passait par les groupes Facebook. Tout va très vite : en une heure, les publications se retrouvent assaillies de dizaines de commentaires, ce qui peut être déroutant. Puis, les colocataires sélectionnent environ une demi-douzaine de candidatures parmi les commentaires et messages qu’ils reçoivent. Si on est admissible, on a la possibilité de rencontrer les colocataires sur leur lieu de vie. Enfin, si le courant passe, on est admis dans la colocation. Pour ma part, j’ai visité une dizaine de logements en douze jours passés sur place. N’ayant rien trouvé à terme de mon séjour, l’association des français à Gand m’a sauvé en me donnant accès à des contacts de propriétaires qui ne fonctionnaient que par réseau. C’est comme ça que j’ai pu signer un contrat de location. Mon loyer s’élevait à 400 € CC par mois pour une chambre relativement spacieuse dans une colocation à 8 (!). Il y a deux types de kots à Gand : les récents, qui ressemblent à des logements universitaires. Souvent gérés par des sociétés (UpKot par exemple) ou des agences, ils sont propres et aux normes, mais peu spacieux et peu conviviaux. On en trouve aussi des plus anciens, qui ressemblent plutôt à des colocations. Ils appartiennent aux landlords et sont gérés par ces derniers ou par les colocataires eux-mêmes. Ces logements sont plus ou moins conformes aux normes de la ville, mais sont généralement plus spacieux et bénéficient d’une riche vie en communauté. Ma chambre donne sur un des canaux et le logement est situé à 5 minutes de l’hyper-centre.
Qu’as-tu pensé de la ville de Gand ?
Je pense sans hésiter que Gand est la plus belle ville de Belgique. Elle n’a pas été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a un château du xɪe siècle, visitable, en cœur de ville. Les églises du xɪɪɪe siècle côtoient d’autres bâtiments ornementés du xᴠɪe. De nombreux ponts surplombent les canaux de la ville, sillonnés de péniches, kayaks ainsi que de canards, mouettes et autres poules d’eau. Il y a des choses atypiques à Gand, comme un marché hebdomadaire aux livres et un bar juste au bord d’un canal. C’est aussi une ville très sociable, de par sa proportion d’étudiants, sa taille humaine et sa quantité importante de soirées et concerts, majoritairement dans des bars. Par exemple, le Hot Club propose des concerts live de jazz tous les soirs. Le Bar Broei, situé dans une église désacralisée, accueille des artistes issus de différentes cultures musicales. Autour de l’église Sint-Jacobs, de nombreux bars proposent des soirées techno. Le De Roes organise des concerts de rock dans sa cave. Le Vooruit organise régulièrement des concerts de qualité. Et j’en passe… Les collectifs d’artistes se connaissent tous entre eux, et sont principalement issus des deux grosses écoles d’art à Gand : la LUCA School of Arts et l’Académie royale des beaux-arts (Koninklijke Academie voor Schone Kunsten, KASK). Il y a de nombreuses structures qui accueillent les créateurs pour exposer. Le centre d’art de Gand (Kunsthal Gent) accueille des expositions d’art contemporain chaque week-end, ainsi que des salons d’édition. Je n’ai rencontré aucun contrôle dans les transports en commun gantois : en d’autres termes, on peut voyager gratuitement en bus comme en tramway. Les trains sont peu onéreux et très bien desservis en Belgique, si bien que peu d’étudiants sont amenés à passer leur permis. On peut traverser le pays en deux heures, ou atteindre Bruxelles depuis Gand en une demi-heure. Rotterdam est également à deux heures en FlixBus. Enfin, l’hospitalité, l’humour et la gentillesse des Belges sont légendaires.
Comment était ton école ?
Grande. La LUCA School of Arts est affiliée à KU Leuven, qui regroupe notamment des écoles d’architecture et les LUCA, en Belgique. Elle accueille environ 6000 étudiants. À Gand, la LUCA a un campus qui regroupe deux importants bâtiments à l’architecture médiévale, de chaque côté d’une rue. Elle est composée d’une vingtaine de départements répartis sur 4 années. La LUCA, aussi appelée Sint-Lukas, est la version flamande des Saint-Luc wallonnes. C’est donc une ancienne école catholique. Fort heureusement, les derniers héritages de cet enseignement sont les croix à côté des portes de certaines salles de classe. Les ateliers m’ont vraiment plu, de par leur taille, leurs possibilités et leur fonctionnement. En effet, les moniteurs sont des anciens étudiants employés par l’école pour accompagner les novices et leur expliquer le fonctionnement d’un outil ou d’une machine. L’atelier Impression était mon préféré. Les imprimantes, de la riso format A2 aux traceurs de découpe format A0, sont en libre-service. Il suffit de créditer sa carte étudiante puis d’imprimer avec. Ceci dit, tous les ateliers, de la céramique au textile en passant par le verre et la sérigraphie, sont remarquables. L’atelier Illustration, dont je faisais partie, appartient au département beaux-arts. Chaque étudiant y dispose d’une grande table et de surfaces verticales d’accrochage. Nous travaillons avec 4 enseignants, qui œuvrent dans le monde de la bande dessinée, l’édition et l’illustration. Ils ont pour la grande majorité étudié l’illustration à la LUCA, comme la plupart des grands illustrateurs flamands. La pédagogie fonctionne par rendez-vous individuels et hebdomadaires avec chaque enseignant. Ils sont très engagés et pertinents dans leurs discours. Polyglottes, ils parlent tous couramment français. Ils ont des pratiques très différentes et donc des remarques nourrissantes et divergentes. Ce qui fait que les étudiants développent ce qu’ils veulent : de l’installation, de la sculpture, de la céramique, du dessin, et surtout de la peinture. La philosophie veut que les étudiants travaillent en analogique, donc sur papier et sur toile plutôt que par des logiciels de dessin. L’école dispose d’une cafétéria. Elle est située à deux pas d’un magasin d’art très bien alimenté, Schleiper. La bibliothèque de l’école est dotée d’ouvrages en français, anglais et néerlandais. Il y avait tout simplement trop de livres pour l’espace dont elle disposait, si bien qu’elle va changer de site. Je n’ai pas suivi de cours de néerlandais cette année, pourtant disponibles dans le programme des cours : les bases grammaticales de cette langue sont dures à acquérir en un an. De plus, les néerlandais parlent couramment anglais. Je sais tout de même dire « tekening » et « smakelijk », qui veulent dire respectivement « dessin » et « bon appétit ».
Quel(s) projet(s) as-tu développé sur place ?
J’ai passé mon temps à dessiner plutôt qu’à peindre. J’avais deux pratiques : le dessin sur le vif, dans des carnets de croquis que j’emportais toujours sur moi, et le dessin d’imagination, à l’atelier. Les projets d’atelier sont structurés par semestre. En troisième année de Bachelor, où j’étais, il y avait une thématique pour le premier semestre et plus de liberté pour le deuxième, en vue de préparer l’étudiant au Master. Personnellement, j’ai donné une dimension éditoriale à mon travail de dessin. Ainsi, au premier semestre, j’ai créé mon premier fanzine de A à Z, des croquis d’intention jusqu’à sa diffusion en passant par le dessin, l’impression et le façonnage. Au second semestre, j’ai également réalisé un fanzine, cette fois plus narratif, avec d’autres techniques et une autre histoire. Il y avait peu d’enjeux conceptuels ou appliqués, si ce n’est l’apprentissage de systèmes visuels et narratifs. L’idée est de produire quotidiennement pour fournir suffisamment de matière lors des retours avec les enseignants. J’ai pu vendre ces éditions dans un festival de fanzines organisé au Kunsthal de Gand, où nous avons pu exposer nos œuvres et présenter nos multiples. De nombreux francophones étaient présents, mais aussi des brésiliens, anglais, allemands, etc. À la fin de chaque semestre a lieu un accrochage et un entretien devant un jury, qui prend la forme d’une conversation plutôt que d’un oral.
Que retiens-tu de ton expérience en mobilité ?
La Belgique, ça change un homme.